10 minutes…
600 secondes.
Moins de temps qu’il faut pour aller se chercher un café et revenir.
Il n’avait fallu que 10 minutes à André, directeur de l’école pour nous convaincre à mon épouse et moi-même que l’on s’était trompé d’adresse, que ce que nous pensions être, le cocon qui allait relayer nos valeurs à nos enfants était en fait devenu une espèce de bahut à géométrie variable ou le politiquement correct se mêlait a la schizophrénie pédagogique:
– Maman a l’école on nous dit de…
– Oui ma chérie mais ça c’est à l’école…à la maison c’est différent…
Le havre de mon enfance était devenu le cauchemar de ma paternité.
Il se raclait la gorge puis enchainait:
– C’est que votre fils est différent, vous comprenez…il ne se mêle pas aux autres, il est habillé différemment, il ne parle pas beaucoup…et sa pâleur dérange.
Je vais voir ce que je peux faire mais je ne peux rien vous promettre, vous comprenez?
Non, je ne comprenais pas.
Je n’entendais pas non plus, j’avais décroché dès sa deuxième phrase.
En fait si.
J’avais compris quelle était la sensation bizarre qui me portait depuis ce matin…
C’était un sentiment de colère et de déception qui se mêlait à une sensation de libération…
J’étais soulagé en fait.
Comme si un l’ancre du passé qui me clouait dans mon enfance et m’empêchait de m’ouvrir a des nouveaux horizons venait de se relever.
Le bateau allait à nouveau pouvoir voguer sur la mer de sa destinée…
Mon épouse et moi-même, sans même nous concerter, nous nous sommes levés simultanément pour prendre congé d’André.
En quittant le bâtiment, je savais que cette fois serait la dernière où je franchirai cette porte.
Nous nous dirigions vers nos véhicules en silence, nous n’avions pas besoin de parler…
Nous avions tous les deux pris conscience du déclencheur qui s’était produit,
Du point de non-retour que nous allions franchir.
Nous avions simultanément décidé que nous ne repasserions pas par le travail
Ce moment justifiais une journée de congé.
De retour à la maison, je m’écroulais sur le fauteuil. J’étais à bout d’énergie,
Assommé par le coup de poing que j’avais reçu à la figure.
Cette claque du destin qui vient te secouer pour te rappeler qu’il faut s’arrêter de ronfler et commencer à songer à monter quelques échelons vers la quête du bonheur.
Mon épouse me retira tendrement les mains d’autour de ma tête, mis ses doigts dans les miens, me regardais dans les yeux et me dis:
– Et maintenant? Tu veux faire quoi?
En vérité je ne savais pas trop par où commencer…Mais sa question n’était pas sur l’ordonnancement des actions mais sur le contenu.
– Et si l’on commençait par coucher quelques idées sur le papier?
J’avais besoin en vérité d’y voir clair…Je sentais que nous étions au bord du plus gros projet de notre vie familiale mais j’avais aussi l’impression que c’était tellement énorme ce qui était en train de se produire que je ne voulais pas embarquer toute la tribu dans une aventure comme cela sans prendre un minimum de précaution…
En vérité j’avais tellement peur de me planter…que je me refugiais dans le confort de la méthodologie,
Une sorte de procrastination administrative.
Ma chérie me connaissait, elle savait que pour sortir de cette paperasserie tellement rassurante et passer à l’action, j’avais besoin d’un bon coup de pied au derrière…
Elle me sourit, lâcha mes doigts, se leva et se dirigea vers le bureau.
Elle en revint avec un stylo et un cahier.
– Vas-y, commence !
Je la regardais du coin de l’œil, en lui souriant…
– Alors c’est décidé, on y va?
– C’est parti !
A partir de ce jour, notre vie n’allait plus jamais être la même…