Nos cinq sens reçoivent et filtrent quotidiennement un nombre gigantesque d’informations. Une partie provient des échanges que nous avons avec les autres. Pour gérer le flux, et pouvoir agir sans nous poser 36 000 questions préalables, nous rangeons, étiquetons et catégorisons sans même nous en rendre compte.
Que ce soit dans la famille, à l’école, au travail, au club de sport…Nous étiquetons nos semblables dès le plus jeune âge, dans l’ensemble des contextes sociaux dans lesquels nous sommes amenés à vivre.
Cette « méthode réflexe » est utile. Elle permet, par exemple, d’agir et d’utiliser notre temps rationnellement, pour atteindre nos buts. Elle a aussi des limites, qu’il est important d’avoir en tête, notamment lorsque l’on a la responsabilité d’encadrer des équipes. Je vous propose d’aller plus loin sur le sujet des étiquettes pour en éviter les écueils, notamment dans vos pratiques professionnelles.
Etiqueter, c’est quoi ?
Etiqueter quelqu’un c’est lui coller (comme on colle une étiquette sur une pochette !) une ou des caractéristiques, à partir desquelles on va le définir, en oubliant le reste.
Nos souvenirs d’école sont intéressants lorsque l’on évoque le sujet, car ils permettent de le comprendre facilement. Qui n’a pas connu un élève étiqueté comme « cancre », ou « premier de classe » par exemple. Il est intéressant de se remémorer que la manière dont ces élèves étaient vus, les poursuivaient généralement de niveau en niveau, et qu’ils mettaient tout leur cœur, à travers leur comportement, à rendre justice à cette vision.
Le regard des autres nourrit l’étiquette que l’on porte, et nos comportements la renforcent. On se met rapidement à « croire » dans l’étiquette, et elle finit par nous définir. J’avais celle de « nulle en maths », copieusement renforcée par les remarques des professeurs sur mes bulletins, et par moi, persuadée que je l’étais vraiment (à quoi bon essayer de chercher alors à comprendre les mathématiques ?).
La notion d’étiquettes est d’actualité, à travers le mouvement des Gilets Jaunes. François RUFFIN, dans son documentaire « J’veux du soleil », avant de commencer son périple sur les ronds-points de France, explique qu’il a décidé d’aller voir si « comme le disent les médias », les Gilets Jaunes sont vraiment des « fachos ». Il veut aller voir, au-delà de l’étiquette qui a été collée aux participants du mouvement. Il dit, à ce propos que si c’est la seule alternative que l’on offre aux gens, alors ils n’ont plus qu’à le devenir, « fachos » ! Cela ne nous renvoie t il pas aux étiquettes que l’on pose aux élèves durant leur scolarité, et qu’ils voient comme étant leur seule alternative d’« exister » ? Etiqueter (et s’étiqueter) réduit notre champ des possibles.
Etiquettes et besoin de reconnaissance.
Pourquoi nourris-t-on nous-même des étiquettes qui jouent parfois (souvent) en notre défaveur ? C’est justement dans ce mot, « exister », qu’on trouve des réponses. Nous sommes des « animaux sociaux » avant tout, à la merci du regard de l’autre, auquel on donne en général beaucoup de puissance.
Le besoin de reconnaissance fait parti des besoins fondamentaux de l’Etre humain, et « porter son étiquette » nous permet d’accéder à une certaine forme de reconnaissance sociale, d’avoir sa place dans le système. On joue le jeu. C’est une manière maladroite qu’on a de répondre à notre besoin. L’Homme fonctionne de telle manière que mieux vaut de la reconnaissance négative, que pas de reconnaissance du tout !
Le prix à payer pour incarner son étiquette peut alors être lourd, même quand l’étiquette semble positive. L’enfant qui est, par exemple, considéré comme « gentil », aura du mal à s’affirmer, et à s’écouter lui-même. Il nourrit son étiquette de « gentil », qui est la manière dont il est reconnu socialement, et n’écoute pas son vrai moi. La peur inconsciente de sortir de cette étiquette peut être le rejet, le désamour des autres… Son contraire, l’enfant considéré comme turbulent, dissipé, voir méchant, n’a aucune raison de sortir de ce comportement, car il lui apporte la reconnaissance des autres (par exemple par l’intérêt qu’on lui porte quand on le punit), même si, encore une fois, elle est à son détriment. Il atteint inconsciemment son but, on s’intéresse à lui, et on ne lui propose pas d’autre manière de faire (ou il n’en connait pas d’autre).
Prendre conscience des étiquettes que l’on porte et que l’on colle.
Que faire devant ce constat de l’impact négatif que peuvent avoir les étiquettes ? Se donner comme objectif d’arrêter de fonctionner par catégorisation est utopique, irréaliste par rapport au mode de fonctionnement humain.
Pour limiter l’impact négatif des étiquettes que l’on donne et que l’on porte, réaliser le mécanisme est une étape fondamentale. Il est intéressant de questionner les étiquettes que l’on porte, et celles que l’on fait porter à autrui.
On peut se demander pour commencer …
« Comment je me vois ? », « Comment je vois untel ? », « Quel impact cela a sur mon comportement, sur mes choix ? », « Qu’est ce que je demande ou pas à untel ? Sur quoi lui fais-je confiance, ou pas ? ».
Ce travail d’analyse fait prendre conscience d’un double mouvement. On a tout d’abord tendance à ne voir chez l’autre que ce qui nourrit l’étiquette qu’on lui a attribué. Par exemple pour quelqu’un qu’on a catégorisé comme maladroit, on remarquera les moments où il casse des choses, mais on ne fera pas attention à la fois où il a mis le couvert pour 30 personnes sans difficultés. Il est d’ailleurs probable qu’on ne lui confie pas cette tâche, à cause de l’étiquette qu’on lui a attribuée ! Cet écueil est renforcé par le fait que l’autre va nourrir l’étiquette qu’il porte, et donc adapter ses comportements en conséquence. Dans l’exemple de la personne maladroite, elle pourrait par exemple refuser de mettre le couvert (« je me connais, je vais encore casser quelque chose ! »), où casser des assiettes, car elle s’est conditionnée à répondre à l’attente sociale de sa maladresse.
On peut aller plus loin dans la prise de conscience du mécanisme d’étiquetage. Nous avons tous des « portraits-robots » d’étiquettes, comme des schémas dans lesquels certaines étiquettes ne peuvent pas se cumuler, ou alors se cumulent naturellement. Un ami me confiait récemment sa surprise qu’une personne végan de son entourage vote pour le Rassemblement National. Dans sa représentation, il y avait conflit (« On ne peut pas être végan, et voter Rassemblement National. »).
Pourquoi se pencher sur les étiquettes ?
Travailler sur les étiquettes permet d’ouvrir le champ des possibles (le sien et celui des autres). Il rend à soi et à l’autre ses particularités, et rappelle la complexité inhérente à l’Etre humain. On s’entraine à aller « au-delà » de l’étiquette, et donc à faire bouger les représentations de soi et de notre entourage. On remet de la flexibilité, de la souplesse dans nos interactions humaines, et on fait bouger les lignes.
On va faire des expériences que l’on n’aurait pas faites, on va tester des choses. Il peut en ressortir de bonnes surprises ! J’étais « nulle en piscine » au lycée. C’était toujours un moment pénible, durant lequel j’entendais de la bouche, et je voyais dans le regard des professeurs, à quel point je n’allais pas assez vite etc… Evidemment je n’aimais pas la piscine ! Je me suis retrouvée à y aller il y a quelques années, et j’ai réalisé à quel point c’était agréable d’aller nager (et que j’étais loin d’être « nulle » en sport). Depuis, c’est devenu une activité que je pratique régulièrement.
Remettre en question, ne pas croire sur parole, les étiquettes que l’on porte et que l’on donne enrichit nos vies.
L’entreprise : le lieu de l’étiquetage rapide.
L’entreprise, tout comme l’école est un lieu dans lequel on étiquette rapidement les collaborateurs, et les risques de se voir coller la mauvaise (c’est-à-dire celle qui va nous limiter dans notre carrière d’une manière ou une autre) sont grands !
Ça peut aller vraiment très vite. Lors d’un entretien de recrutement, un DRH m’avait confié, avec fierté, qu’il savait s’il allait embaucher la personne qu’il recevait, au moment où il lui serrait la main. Je me suis posée longtemps la question de savoir ce qu’était une bonne poignée de mains (je n’ai toujours pas la réponse) ! L’étiquetage peut parfois commencer lors des premières secondes d’une rencontre.
J’ai par la suite travaillé en magasin. Il y avait une tradition qui était que le Directeur passait tous les jours sur le terrain, à une certaine heure, vérifier l’état des rayons et voir les équipes. La personne qui me formait m’avait conseillé, à juste titre, d’avoir l’air affairée à chaque passage du Directeur, car il se ferait une image de moi en quelques secondes.
Ces deux anecdotes montrent à quel point on se fait rapidement une image de l’autre, selon ses propres critères, et comme l’étiquetage peut être subjectif et injuste. Comment en quelques secondes peux t on réellement se faire une idée de la personne que l’on a en face de soi ? Et pourtant, c’est bien de cette manière que l’on fonctionne ! L’augmentation des exigences en termes de productivité, et donc de rapidité, nous amènent à forcer le trait. L’important est d’en avoir conscience pour challenger régulièrement notre vision des autres (et de soi même !).
Pistes de réflexions pour managers.
La prise de conscience de notre réflexe de catégoriser, et l’importance de remettre régulièrement en question les étiquettes, sont des éléments fondamentaux à travailler lors de la formation des nouveaux managers.
Il est indispensable de revenir sur ce sujet régulièrement, d’une manière ou d’une autre. C’est par la répétition de prises de consciences et d’exercices autour des étiquettes, que les modes de fonctionnement relationnels bougeront, et que les réflexes des uns et des autres évolueront.
En tant que manager vous pouvez par exemple :
– Former/faire former vos équipes au concept d’étiquettes.
– Mettre les collaborateurs en situation de réussite, en leur proposant des tâches, des responsabilités que vous ne leur donneriez pas habituellement.
– Souligner, de manière contextuelle et factuelle, quand un collaborateur fait preuve d’un comportement qui le sort de son étiquette.
– Instaurer, par l’exemple, un « droit à l’erreur » dans les échanges relationnels, qui « autorisera » les collaborateurs à échanger entre eux lorsqu’une interaction s’est mal passée.
Les entreprises ont tout à y gagner !
Les gains du travail sur les étiquettes sont multiples pour les entreprises. En voici quelques exemples :
– Augmente le niveau de motivation des équipes, en permettant aux collaborateurs de donner le meilleur d’eux-mêmes dans des contextes/occasions nouvelles.
– Favorise la montée en compétence des collaborateurs. Au plus ils expérimentent des situations et responsabilités nouvelles (au lieu de rester cantonnés dans un certain rôle), au plus leur palette de savoirs-faires et de savoirs-êtres s’élargit.
– Élève le niveau de confiance des collaborateurs envers leur manager, envers l’entreprise (« on me confie des tâches différentes, donc on me fait confiance »), et, par ricochet envers soi (« en fait je suis capable de faire cela »).
– Accroit le bien-être au travail des collaborateurs et la cohésion d’équipe. Travailler sur les étiquettes remet de l’authenticité dans les échanges professionnels, les humanisent, et participe du développement personnel de chacun.
– Fait vivre concrètement les politiques de Responsabilité Sociale et Environnementale de l’entreprise. En effet, un travail autour des étiquettes bien mené aura un impact au-delà de l’entourage professionnel (le mécanisme étant le même dans l’ensemble des cercles sociaux dans lesquels l’individu évolue, il pourra appliquer les outils au niveau personnel).
Il est fondamental d’impulser le mouvement en se faisant accompagner de professionnels (formateurs, coachs…). Au-delà du fait que c’est un sujet qui demande une certaine expertise, il représente un changement de pratiques en profondeur, ce qui implique de gérer les résistances qu’il peut engendrer au départ.
Le travail autour des étiquettes est un investissement incontournable pour les entreprises. Il conduit non seulement à des gains de productivité, mais également à un climat social apaisé. Pour que le retour sur investissement soit maximal et pérenne, il est indispensable de former chaque niveau de Direction, de la Direction Générale à l’encadrement de terrain (puis ensuite les collaborateurs non managers).
Travailler sur les étiquettes, un besoin qui répond à l’évolution sociétale actuelle.
Prendre conscience, et travailler sur nos modes de fonctionnement, notamment en ce qui concerne les étiquettes, est aujourd’hui incontournable. Et cela dans l’ensemble des contextes sociaux dans lesquels nous interagissons, que ce soit l’école, le monde du travail, celui des loisirs…
Ce besoin est d’autant plus marqué, dans une société qui voit apparaitre des générations en quête de sens, de connaissance de soi, et qui remettent les structures en question. Ces générations arrivent au fur et à mesure dans les entreprises qui, pour assurer leur pérennité, ne peuvent faire l’économie de faire évoluer leurs modes de fonctionnement relationnels.
L’actualité sociale récente vient illustrer ce besoin de challenger, voire de sortir des étiquettes. Toutes considérations politiques mises à part, on a pu constater une augmentation du niveau de bonheur, et une forte motivation, sur les ronds-points occupés fin 2018 par les Gilets Jaunes. Cela par le développement de relations humaines sur une modalité différente. L’explication, par les principaux intéressés, débutait régulièrement par la mise en avant que sur les ronds-points « on met de côté les étiquettes », « on ne veut pas savoir ce que chacun vote » …
Redonnons de la place à notre richesse intérieure, à la multiplicité de nos facettes. C’est l’ensemble de la société qui a à y gagner !
“Flore CRÉPIN, directrice de la société Or’Cadre, est formatrice, coach certifiée et auteur. Après 10 années en entreprise, en tant que cadre généraliste des Ressources Humaines, elle accompagne professionnels et particuliers à donner le meilleur d’eux-mêmes, à relever des défis, et à mieux se connaitre.” Pour plus d’informations, cliquez ici !